Texte : Maxime Delcourt. Photo : « Calambre » de Nathy Peluso.
Souvent comparée à Rosalía, la chanteuse et rappeuse argentine de 27 ans Nathy Peluso sort grandie de ce rapprochement avec l’interprète du tube « Malamente », avec laquelle elle partage sa langue maternelle et une liberté de ton mais dont elle parvient à se démarquer grâce à ses influences hip-hop, jazz ou salsa et sa faculté à incarner différents personnages. Jeune femme charismatique, enthousiaste, qui assume son corps et compose des morceaux festifs taillés pour surmonter la grisaille du quotidien, Nathy Peluso dispose d’une énergie communicative, que ce soit sur la scène du festival We Love Green sur laquelle se produisait récemment ou à travers ses clips à l’esthétique ultra-léchée. Sa musique, quant à elle, est aussi envoûtante que son regard vairon. Rencontre.
Le premier contact avec Nathy Peluso remonte à 2018. Là, sur la scène du Dour Festival, en Belgique, on découvre avec surprise une jeune femme dotée d’un charisme fou. Il y a de l’aplomb dans sa voix, une évidente profondeur dans son interprétation, caractérisée par ce flow suave, presque sauvage, dicté par des mélodies chaloupées qui ne semblent exiger qu’une chose : un pogo sinon rien. Par la suite, il y a eu la découverte de sa discographie, qui emprunte sa grammaire à la salsa, au hip-hop, au reggaeton ou même au R&B.
Chaque morceau paraît être un tube potentiel, chaque refrain offre illico un boost d’énergie. C’est le cas sur ses premiers projets, produits en totale indépendance. C’est tout aussi perceptible à l’écoute de Calambre, son premier album (2020), sorte de synthèse de son propre style composé pêle-mêle de rythmiques qui croisent le rap et les musiques latines et de mélodies gorgées de soleil pour former un ensemble de douze morceaux à entendre comme une ode au rapprochement des corps. Pas étonnant, dès lors, que cette artiste née à Buenos Aires soit rapidement devenue un phénomène sur les réseaux sociaux, et notamment sur TikTok où ses singles inspirent des milliers de chorégraphies.
Nathy est une autre
Avant le succès, essentiellement digital, il y a eu les années d’apprentissage, passées entre des cours de danse et des études en pédagogie d’arts visuels. Un temps, Nathy Peluso a même songé à devenir professeure de théâtre, mais il faut croire que la passion pour la musique, transmise par ses parents, était trop forte. À l’écouter parler, selon un débit de paroles très rapide, il ne fait d’ailleurs aucun doute qu’elle vit actuellement son rêve. « En parallèle de mes études, je travaillais en tant que chanteuse dans des hôtels et des restaurants dans une station balnéaire, raconte-t-elle. Un jour, j’ai composé une chanson, elle a plu à pas mal de gens et j’ai commencé à m’investir plus sérieusement dans la composition. J’avais 19 ans. Depuis, tout s’est accéléré. »
Qu’elle semble loin l’époque où elle reprenait les standards de Frank Sinatra ou de Nina Simone. Qu’elle semble loin également la période où la musique latine était stigmatisée, moquée pour ses tubes estivaux fournis à la planète pop chaque année. Depuis, Rosalía est passée par là, et c’est toute une scène qui semble profiter de son aura – comme en France, notamment avec Bianca Costa et Mimaa. L’intelligence de Nathy Peluso, c’est toutefois de se réinventer constamment, via de multiples personnages, à la manière d’une de ses idoles : Jim Carrey. « Incarner quelqu’un d’autre, c’est une passion que j’ai depuis toujours. C’est une manière pour moi d’aller vers des personnages exubérants, presque excentriques. Lorsque j’écris, par exemple, j’ai envie de transmettre une gestuelle particulière, un accent, certaines émotions. Dès lors, l’identité du personnage naît d’elle-même, ce qui me permet d’évoquer différents sentiments, mais aussi de raconter tous types d’histoire. Avec, toujours, ce côté ludique, presque joueur. »
« Si je me penche, tu sens mon clitoris »
Au fond, Nathy Peluso dit n’être rien d’autre qu’une « sandunguera », un mot qui a donné son titre à l’un de ses projets et qui désigne une femme profitant des petits plaisirs de la vie. À l’inverse de tous ces artistes qui préfèrent lisser les aspérités de leur accent, la singularité de leur histoire ou le naturel de leur personnalité, la jeune femme avance sans masque. Y compris sur les réseaux sociaux, où l’Argentine, très présente, – elle compte 4,8 millions d’abonné·e·s sur Instagram – dit vouloir être la plus sincère possible. « Bien sûr, je ne suis pas toujours aussi dynamique et souriante, je suis même plutôt calme au quotidien, mais je ne m’invente pas une vie dans mes stories. Je suis simplement plus expressive. Après tout, la musique, c’est de l’entertainment : il faut permettre aux gens de s’amuser. »
Au passage, Nathy Peluso dit ne pas subir le stress ou l’anxiété propres aux réseaux sociaux. Peut-être parce qu’elle n’a pas encore la notoriété de Billie Eilish ou de Charli XCX, deux artistes ayant récemment pris la parole pour alerter sur le sujet. Peut-être aussi parce qu’elle dit mener une vie saine, en phase avec ses valeurs. Seule certitude : l’auteur du récent Emergencia possède suffisamment de confiance en elle pour avancer avec certitude, convaincue de ses forces et de la pertinence de son discours. C’est qu’il en faut de l’assurance pour interpréter de tels textes, qui osent la provocation, les déclarations féministes et les allusions sexuelles explicites : « Je sais comment couper mon haschich / Si je te montre, la police arrive / Si je me penche, tu sens mon clitoris », chante-t-elle fièrement sur « Sana Sana », tandis que « Business Woman » la pose en femme fatale, « Regarde-moi dans les yeux, suce-moi comme une putain de dame ».
« Pendant longtemps, mes chansons étaient entraînantes, enjouées et théâtrales, parfois même caricaturales dans ce qu’elles symbolisaient des cultures latines. Aujourd’hui, j’évolue vers d’autres sentiments. Je suis moins focalisée sur les bonnes vibes »
À chaque fois, Nathy Peluso fait du corps un élément central de son propos, perceptible jusque sur la pochette de son premier album Calambre où elle apparaît dans un gymnase, suspendue dans les airs, simplement vêtue de bandages blancs. Souvent, ce corps est mis à nu, en mouvement, presque réinventé dans certains de ses clips ou de ses shootings. On en revient alors à cette volonté d’incarner d’autres personnalités, de jouer sur les fantasmes, mais aussi d’accorder à la danse toute son importance. « J’adore danser, notamment la salsa ou le reggaeton. C’est sans doute pour ça que mes musiques se basent souvent sur une rythmique dynamique, joyeuse. » Sur sa lancée, Nathy Peluso tient toutefois à nuancer ses dires, comme pour éviter d’être figée dans une esthétique : « Cependant, pendant longtemps, mes chansons étaient entraînantes, enjouées et théâtrales, parfois même caricaturales dans ce qu’elles symbolisaient des cultures latines. Aujourd’hui, j’évolue vers d’autres sentiments. Je suis moins focalisée sur les bonnes vibes. Ma démarche est plus adulte, il y a plus d’introspection. Davantage de mon intimité également. »
À l’inverse de nombreux artistes, qui n’ont pas toujours en eux·elles la capacité de se renouveler, Nathy Peluso assume la pluralité de ses envies. Elle sait que cela manque parfois de cohérence, qu’elle a tendance à s’éparpiller, mais ces changements constants semblent lui être essentiels. « J’ai besoin de ne pas rester dans le même univers, ni de répéter sans cesse le même processus », clame-t-elle. Quant à savoir s’il s’agit là d’un énième discours sur le besoin d’innover, facilement prononcé mais rarement vérifiable dans les faits, Nathy Peluso sait répondre. « En tant qu’artiste, on se doit de se laisser traverser par tous types de sentiments. J’ai 27 ans, je ne suis plus cette gamine qui veut simplement s’amuser en faisant de la musique. Je ressens d’autres choses, je suis exposée à de nouvelles réflexions, à un nouveau mode de vie, etc. » Traduction : on assiste peut-être actuellement à l’éclosion d’une future icône de la pop music, authentique et pourtant impossible à saisir.
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